Widjigo - Estelle Faye
«-Nous racontons notre propre histoire sans même avoir besoin de mots, de paroles. Car le voyage nous change, nous transforme. Au fil du temps nous transportons partout avec nous les horizons que nous avons poursuivis. Dans les crevasses de nos bottes, dans le ride de notre visage, dans l'usure de nos manteaux de pluie et les cicatrices sur notre peau.»
Le résumé :
En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. À l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres...
«- Je crois à ce que j'ai vécu, à la neige,aux orages, aux longues
nuits... Je crois au chemin d'étoiles et à la cruauté des hommes. Et je
crois à la solitude, à la faim et à l'épuisement qui parfois changent
les hommes en monstres. Qui nous dévorent et nous poussent à vouloir
assouvir à notre tour des instincts insatiables. J'ignore s'il existe un
dieu unique, un grand esprit ou un premier conte. Mais je suis certaine
que nous portons en nous nos pires ennemis.»
Ma chronique :
Widjigo d’Estelle Faye est un thriller historique teinté de fantastique et d'épouvante. L’histoire se situe en 1793 lorsqu’un jeune officier est envoyé avec son régiment en Bretagne pour arrêter un vieux noble. En cette nuit de tempête, le vieil homme va raconter à l’officier la sombre histoire qu’il a vécue il y a quarante ans. Préparez votre plaid et une boisson chaude, tamisez les lumières : ce roman est parfait à lire en plein mois d’octobre !
Justinien de Salers, notre conteur de 1793, fut membre d’une expédition en Terre-Neuve en 1754. Malheureusement, suite au naufrage de leur navire, toute la petite troupe se retrouve du mauvais côté de l’île, dans un endroit dénué de vie et d’infrastructure humaines. Dans ce huis-clos en plein air, le lecteur assiste à la course pour la survie des rescapés. Car de nombreuses menaces rôdent, à commencer par le froid, la faim et les animaux sauvages. Mais bien vite, ils se rendent compte que ce ne sont pas les seuls dangers. Car chaque matin un survivant du naufrage est retrouvé mort.
La paranoïa s’installe chez les personnages impuissants qui se mettent à tous douter les uns des autres. Le lecteur est spectateur de tous les évènements à travers le regard et la parole de Justinien et on en vient aussi à suspecter tous les personnages tour à tour. Qui est le meurtrier ? Une personne extérieure ou un membre du groupe ? Une personne seule ou plusieurs assassins ? Le suspense est à son comble tout au long du récit. Le désabusement des personnages face à la mort est en revanche un peu déstabilisante.
Si Justinien de Salers est un protagoniste plutôt banal, voire déplaisant aux premiers abords, spectateur passif, qui se laisse porter par les évènements, il va tout de même avoir une belle évolution face à la situation extrême dans laquelle il se retrouve. Les autres personnages sont plus ou moins développés mais ont en tout cas tous une psychologie bien construite et ils se révèlent dans leur complexité au fil des pages. Je retiens en particulier la charismatique Marie, la mystérieuse Pénitence et l’ambigu Veneur.
Avec sa plume incisive et poétique, parfois philosophique, Estelle Faye construit avec habileté et talent une atmosphère sombre, glauque et pesante. Elle nous immerge dans des contrées froides et hostiles nord-américaines et tout est empreint d’une aura mystérieuse. Entre les cauchemars (ou visions ?) de certains personnages, le comportement étrange d’autres et l’importance du folklore et de la religion, la frontière entre surnaturel et réel est sans cesse questionnée. De plus, l’autrice nous livre des scènes marquantes très visuelles de body horror à la fois gores et sordides.
Widjigo aura été une lecture intense et captivante jusque dans les dernières pages qui apportent leur lot de révélations finales qui m’ont surprises et que je n’avais pas vu venir ! C’est un court roman efficace à l’ambiance étouffante qui met en parallèle, interroge les limites de la monstruosité et de l’humanité.
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Titre : Widjigo
Autrice : Estelle Faye
Editeur : Albin Michel Imaginaire
Publication : septembre 2021
Prix : 17,90€
Nombre de pages : 256
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