Une Valse pour les grotesques - Guillaume Chamanadjian
«-Si cette valse existe… elle ne peut être que dangereuse.
- Tu dis cela parce que tu ne la comprends pas. Une valse est une œuvre d'art. Une œuvre ne se comprend pas, ou seulement en partie. Ce qu'on ne comprend pas, on le rejette ou on le fait sien. C'est votre nature humaine. C'est ce qui vous distingue de nous.»
Le résumé :
Johann von Capriccio est un jeune étudiant en obstétrique et ciroplaste de talent à l'université de Schattengau, ville fondée par le savant-astrologue Mirabile. Étudiants et habitants la font vivre sous le patronage des grotesques, statues de pierre représentant des créatures des folklores européens.
Les mannequins anatomiques de Johann attirent un jour l'attention de Catherine von Grunewald, femme du margrave. Celle-ci le fait convoquer afin de lui montrer l'enfant dont elle a accouché quelques mois auparavant dans le plus grand secret. Corne, queue, sabots de bouc : l'enfant est un faune.
En compagnie d'une mercenaire et de l'héritière de Mirabile, Johann va tenter de comprendre les mystères de Schattengau, ville où l'art et la science prennent vie à l'insu des habitants.
«Étrange chose que la création littéraire, se dit-elle. Qui la plonge dans des transes énigmatiques durant lesquelles fiction et réalité semblent s'unir comme un couple de danseurs, alors qu'elle est parfois incapable de se souvenir pourquoi un simple rêve la plonge dans la mélancolie.»
Ma chronique :
La trilogie Capitale du Sud de Guillaume Chamanadjian a été mon gros coup de cœur de 2023, il était donc évident que je lise rapidement le nouveau roman de l’auteur sorti fin 2024 ! Une Valse pour les grotesques s’inscrit dans un contexte historique et géopolitique réel, celui de l’Europe du début du XIXe siècle. L’intrigue prend place à Schattengau, une foisonnante ville-université crée il y a quelques siècles, véritable centre culturel et folklorique mais surtout lieu dédié à la connaissance et aux arts qui regorge de bien des mystères.
Dans ce contexte, le lecteur fait la rencontre de Johann von Capriccio, étudiant en obstétrique et talentueux ciroplaste qui va se retrouver malgré lui embarqué dans d’incroyables péripéties dépassant les frontières du réel et du connu. Il va faire une partie de son chemin avec deux autres protagonistes : Sofia, sorte de brigande/mercenaire au caractère bien trempé, et Renata, douce dame de compagnie et apprentie d’une figure importante de Schattengau. De bien énigmatiques interludes écrites à la première personne du pluriel et aux narrateurices inconnu.es viennent entrecouper le récit et nous plonger dans le passé.
Le trio est dynamique, je les ai trouvés attachants, bien construits et les personnages féminins sont forts. Ils ont au début peu de prise sur ce qu’il se passe et se retrouvent bringuebalés malgré eux mais vont de plus en plus s’imposer dans l’action en faisant des choix décisifs. De belles relations se tissent entre eux au fur et à mesure sans que ce ne soit stéréotypé ou que ça tourne à la romance clichée. Tous les personnages sont hauts en couleurs et agréables à rencontrer. J’ai beaucoup aimé l’étrange et déstabilisant, mais également touchant, duo Lukas/Ombeline.
J’ai retrouvé avec grand plaisir la magnifique plume de Guillaume Chamanadjian, si envoûtante, pleine de musicalité et au vocabulaire riche. Une fois de plus, il a créé un univers fascinant et très immersif, je me voyais tout à fait arpenter les rues de Schattengau et en découvrir les moindres secrets et recoins aux côtés de Johann. C’est un récit rythmé en apparence classique qui se révèle rapidement être très original. J’ai adoré l’atmosphère onirique de Schattengau que l’on découvre dans toute sa complexité et qui s’avère être une bulle de fiction protégée (et protectrice) de la réalité.
J’ai parfois eu un peu de mal à saisir où l’auteur m’emmenait. Une Valse pour les grotesques est comme un grand puzzle dont on reçoit les pièces petit à petit et qu’il faut reconstituer. Je suis probablement passée un peu à côté de certaines symboliques et messages. De même, certains éléments m’ont laissé un peu dubitative, voire dans le flou, mais ça n’a pas entaché mon plaisir de lecture pour autant. Une seconde lecture sera sûrement utile pour bien comprendre tous les tenants et aboutissants de l’histoire !
Une Valse pour les grotesques prend des allures de conte philosophique en mettant notamment en scène la lutte contre la soif de pouvoir démesurée et dangereuse d'un tyran. Le roman interroge également le rapport à la fiction et à la réalité par le prisme de l’art. La place des arts est centrale (que ce soit la peinture, la littérature, la danse, la musique, la sculpture, etc.) et permet à l’auteur d’aborder de façon intelligente les thèmes de la création artistique et du créateur ainsi que de leurs empreintes à travers le temps. Ce roman démontre la puissance de l’Art, vecteur d’émotions, mais aussi de l’imaginaire individuel et collectif. Les statues de grotesques sont omniprésentes à Schattengau et témoigne d’une mythologie, d’un folklore qui tombe malheureusement dans l’oubli car les gens ne font plus l’effort de les voir et d’y croire.
Une Valse pour les grotesques est une belle histoire qui va
me rester en tête un moment et que je recommande chaudement pour sa créativité,
sa singularité et sa poésie. Tout comme dans Capitale du Sud, Guillaume
Chamanadjian donne vie et corps à une ville, à un univers et à un récit aussi
marquants les uns que les autres.
Ma note :
«- […] Ça nous rassure de nous dire que l'histoire est un éternel recommencement, que les événements se produisent à plusieurs reprises, mais c'est faux. Rien n'est jamais pareil.»
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