La vie invisible d'Addie Larue - V.E. Schwab

«- Tu sais comment on vit trois cents ans ? finit-elle par lancer.
Quand il lui demande comment, elle sourit :
- Comme on vit un an. Une seconde à la fois.»


Le résumé : 

Une nuit de 1714, dans un moment de désespoir, une jeune femme avide de liberté scelle un pacte avec le diable. Mais si elle obtient le droit de vivre éternellement, en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route.

Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d'aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, dans plusieurs pays d'Europe d'abord, puis dans le monde entier. Jusqu'au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l'homme derrière le comptoir la reconnaît. Quelle peut donc bien être la raison de ce miracle ? Est-ce un piège ou un incroyable coup de chance ?
 

«Bien sûr, oublier, c'est triste. Mais être oublié, c'est être abandonné à soi-même.Et être la seule à se souvenir, c'est du pareil au même.»


Ma chronique :

Si le pacte faustien impliquant d’échanger son âme contre l’immortalité n’est pas une thématique des plus originales, les différentes touches et éléments que V.E. Schwab apporte à son récit lui permettent de sortir du lot et de se réapproprier brillamment le mythe. Nous suivons Addie Larue, une jeune française du XVIIIe siècle qui a fermement rejeté les liens et entraves inhérents à son statut de femme inscrite dans son époque et qui paie malgré elle le prix de son hybris. La jeune femme ne s’est jamais sentie à sa place et est maudite par une créature diabolique pour s'être emparée de sa propre vie et avoir choisi le libre-arbitre et la liberté plutôt que le chemin tout tracé qui lui était destinée.

Ce qui m’a le plus marquée dans ce roman, et dont je me souviendrais longtemps je pense, c’est l’écriture. Je l’ai trouvé incroyable, mature et fluide. J'ai noté un très grand nombre de citations et de passages que je trouve vraiment exceptionnels par leur justesse. La traduction de Lumen retranscrit parfaitement l’ambiance si particulière de ce roman. V.E. Schwab explore le réel dans ses moindres détails en s’attardant sur des odeurs, des sons, des couleurs, des textures et des sensations. Les descriptions des villes et des paysages sont d'une précision poétique et le texte est souvent empreint d’une dimension contemplative qui m’a charmée. L’autrice use de belles images et de métaphores afin de donner du poids à ses descriptions et de faire participer d'une certaine manière les cinq sens du lecteur.

La lenteur du récit a souvent été reprochée par d’autres lecteurs mais ça ne m’a personnellement pas dérangé. J'ai été captivée par l'histoire d'Addie dès les premières pages. C’est une jeune femme attachante, incroyablement humaine, j’ai vite eu de l'empathie pour elle et sa situation. Étant donné que le lecteur ne suit qu’elle, ses faits et ses pensées tout au long des chapitres, nous sommes témoins de moments d'introspection, de curiosité, d'apprentissage mais aussi de questionnements, de solitude et de chagrin. J’ai beaucoup aimé l’importance qui est donnée à l’art sous toutes ses formes (peinture, dessin, musique, photo, littérature) tout au long du roman. Addie parvient à laisser des traces subtiles d'elle-même sur son passage, à marquer le monde, au travers des autres et de leurs arts. En devenant une muse fantôme, elle fait un pied de nez à sa malédiction et se joue de Luc. D’ailleurs, la relation qui lie Addie et Luc est intéressante, elle oscille entre amour et haine, il y a une réelle ambivalence dans leurs sentiments à eux deux. Luc étant le seul être qu’Addie peut réellement côtoyer, elle s’accroche à lui et à sa présence : on voit à plusieurs reprises que lors de la « date anniversaire » du début de son immortalité, Addie est affectée lorsque Luc ne se montre pas mais elle ne peut arrêter de le haïr pour la malédiction qu’il lui a donné. Luc est un personnage intéressant car sous sa figure d’être tout-puissant, manipulateur, omnivoyant et démoniaque apparaissent par moments des pans d’humanité qu’il ne peut pas tout à fait cacher à force de côtoyer et de s’attacher à Addie.


Ce qui a réussi à me tenir en haleine pendant une grande partie de ce roman c’est que l’autrice englobe ses personnages d’une part de mystère. Qu’à fait Addie pendant 300 ans ? Pourquoi Henry se souvient d’elle ? Quelles sont les réelles intentions du démon, Luc ? En alternant les chapitres du présent et du passé, l’histoire se construit et avance doucement dans les deux temporalités. Cependant, j’ai déchanté à partir de la cinquième partie lorsque je me suis rendue compte que l’histoire ne décollait pas plus que ça. J’avais l’impression de tourner en rond, je me suis ennuyée et j’ai été beaucoup moins emportée par l’histoire. C’est notamment la relation entre Addie et Henry qui n’apportait pas grand chose à mon sens (même si j'ai beaucoup aimé le personnage d'Henry également). Un des reproches que j’ai le plus vu passer c’est qu’Addie ne s’est pas vraiment impliquée ou intéressée à l’Histoire avec un grand H, qu’elle n’a pas voyagé en dehors de l’Europe et des États-Unis (d’où un récit euro-centré et manquant de diversité). Et en effet, en 300 ans d’existence, ça pose question. Je pense qu’il y avait la possibilité d’offrir bien plus au personnage d’Addie ainsi qu’au lecteur mais que V.E. Schwab est restée dans la facilité.

La vie Invisible d’Addie Larue est donc un roman qui m’a fascinée par son atmosphère onirique et son écriture envoûtante. Si l’histoire souffre de quelques longueurs et que l’autrice aurait pu se montrer plus audacieuse par moments, j’ai tout même passé de très bons moments aux côtés d’Addie, Luc et Henry qui forment un trio marquant. J’ai beaucoup aimé les instants de réflexion parfois philosophiques sur le temps qui passe, sur notre rapport au monde, à soi et à autrui dont V.E. Schwav alimente son histoire.
 

«L'art est fait d'idées. Or s'il y a bien quelque chose que je sais, c'est que les idées sont plus tenaces que les souvenirs. Comme les mauvaises herbes, elles trouvent toujours le moyen de percer.»

Titre : La vie invisible d'Addie Larue (titre VO : The invisible life of Addie Larue)
Autrice : V.E. Schwab
Éditeur : Lumen
Publication : juin 2021
Prix : 17€
Nombre de pages : 696

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