Sweet Harmony - Claire North
«Voici Harmony Meads, dix-neuf ans, en train de faire un
choix à propos de son corps, de sa vie, pas à cause d’un mec obsédé par ses extensions,
d’un connard persuadé que tout le monde était dans le même cas que lui, que nul
n’avait besoin de préservatif – même s’il ne s’était pas soucié d’investir dans
une extension pour ses testicules, se disait-elle -, mais bien parce qu’au bout
du compte, elle voulait avoir le contrôle.
Elle tapa sur "acheter".
Ce fut ainsi que tout commença.»
Jeune et belle, Harmony Meads est promise à un avenir radieux. Sa carrière d’agente immobilière pour yuppies file vers les sommets, et le couple qu’elle forme avec Jiannis fait sensation dans les soirées les plus courues de la City. Pourtant, Harmony a un problème. Là. Sur le menton. Juste un petit bouton. Pas méchant, trois fois rien, mais bien là. Or, ce bouton est une impossibilité. Ses nombreux abonnements à Fullife, son fournisseur de santé, assurent le parfait réglage de ses nanos, et sa kyrielle d’extensions — Derméclat, Réveil en Beauté, Fraîche et Guillerette, Fini le Dentiste, Puissant Maintien, Prenez le Contrôle — garantissent à Harmony l’éclat d’une jeunesse insolente, et une efficience maximum en toutes circonstances. Certes. Mais alors, ce bouton ? Ne pourrait-il pas s’avérer un symptôme ? Car être la meilleure version de soi-même a un prix. Un prix élevé, à vrai dire… Pour Harmony Meads, il se pourrait que l’heure de s’en acquitter ait sonné.
Le soir même, elle achetait Sourire Éclatant.
Cela lui provoqua un temps des douleurs au visage, elle n’aimait pas la manière dont cela faisait paraitre ses dents proéminentes en lui retroussant les lèvres tout en lui tirant les yeux vers le bas, au point que sa vision périphérique se troublait parfois, mais, de l’avis général, c’était néanmoins beaucoup mieux.»
Sweet Harmony, novella publiée chez Le Bélial dans la fameuse collection de textes courts Une Heure-Lumière, propose une récit d’anticipation dystopique aux allures d’un épisode de Black Mirror. Claire North a imaginé un futur proche glaçant et frappant par sa vraisemblance où les nanotechnologies sont utilisées pour modeler le physique des gens. Grâce à Fullife qui propose de nombreux et divers abonnements et extensions, adieu la peau terne, les cernes sous les yeux, les vergetures, la mauvaise haleine ou encore les baisses de libido !
La novella se concentre exclusivement sur le personnage d’Harmony Meads. On assiste à sa dégringolade sociale, professionnelle et financière alors qu’elle se noie petit à petit dans ce culte de l’image et du paraître. Le premier chapitre nous présente cette jeune femme paniquée par un bouton sur son menton. Elle apprend que suite à trop d’impayés, ses abonnements vont être suspendus l’un après l’autre et qu’elle va retrouver son physique d’avant, voire pire. Les chapitres suivants remontent dans le temps et le lecteur voit comment elle en est arrivée là. On comprend l’étendue du problème et des dégâts liés à ses choix superficiels.
Car Harmony Meads est un personnage complétement addict, enfermé dans un cercle vicieux, qu’on peine à réellement apprécier. Mon point de vue vis-à-vis d’elle ne faisait qu’osciller : je n’arrivais pas à savoir si je devais avoir de la pitié pour cette jeune femme, si je devais la soutenir dans son combat pour s’en sortir ou au contraire la mépriser pour ses choix stupides et son comportement détestable envers sa mère. Je l’ai trouvé un peu caricaturale par moments mais l’autrice a probablement poussé le personnage à l’extrême pour mieux en souligner le ridicule.
Avec son écriture cynique et grinçante, sans concession, Claire
North délivre une véritable satire sociale et critique cette société (la nôtre)
qui pousse les gens à être beaux et parfaits au quotidien avec ses diktats de l'apparence. Elle alarme sur cette cette hyper-connectée et consumériste vers laquelle on pourrait se diriger avec
toutes les avancées technologiques et médicales, les intelligences artificielles
et l’omniprésence des réseaux sociaux où règne la superficialité. Cette novella
dénonce également le patriarcat ainsi que les relations toxiques et
manipulatrices mais ça reste plutôt en surface pour ces points-là.
Ma note :
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