Yellowface - Rebecca F. Kuang

« Je n’ai pas pris autant de plaisir à travailler depuis des années. Peut-être parce que ce sont les mots de quelqu’un d’autre que je coupe, si bien que je n’ai pas l’impression d’assassiner mes chéris. Peut-être parce que le matériau de base est tellement bon qu’il me semble être en train de retailler des pierres précieuses, d’en ôter les aspérités pour les faire étinceler.»

Le résumé :

June Hayward et Athena Liu aspirent à de brillantes carrières littéraires. Athena jouit déjà d'une certaine notoriété lorsqu'elle meurt dans un étrange accident. Présente sur les lieux, June vole son dernier manuscrit, le corrige et l'envoie à son agent. Publié sous un faux nom, le roman devient un best-seller. Rattrapée par la vérité, la jeune femme voit son succès menacé.

« Pour la première fois depuis que j’ai soumis mon manuscrit, je ressens une puissante vague de honte. Il est question d’une histoire, d’un héritage, qui ne sont pas les miens. Ceci n’est pas ma communauté. Je suis une étrangère qui jouit de leur amour sous un faux prétexte.»


Ma chronique : 

Yellowface est un roman satirique qui nous montre l’envers du décor du monde de l’édition et de l’industrie littéraire aux Etats-Unis. On y suit June Hayward, une autrice qui galère et dont le premier roman n’a pas fonctionné, qui assiste au décès accidentel de son amie Athena Liu, autrice de best-sellers. June vole le manuscrit en cours d’Athena et décide de le modifier, d’y faire des ajouts et de le publier sous son nom.

L’intrigue n’est pas des plus intense et est assez convenue car on suit le parcours de June à travers les nombreuses étapes de la création d’un roman (écriture, corrections, campagne de communication, publication, rencontres/dédicaces, droits pour une adaptation audiovisuelle, etc.) C’est parfois très descriptif mais j’ai trouvé que c’était vraiment intéressant et j’ai appris beaucoup de choses. Le lecteur est plongé dans les pensées et le mal-être de June, on se demande jusqu’où elle est prête à aller et comment toute cette affaire va se finir. En ce sens, la fin manque de panache à mon goût. En plus d'être un peu tiré par les cheveux, j'ai trouvé que le côté thriller dans les derniers chapitres était superficiel et apportait peu au récit.

June devient rapidement agaçante voire carrément détestable : elle est excessivement jalouse, paranoïaque et bien sûr, voleuse. Elle est persuadée d’avoir bien agit, d’être légitime alors qu’elle s’est attribuée une histoire qui n’est pas la sienne. On assiste à la descente aux enfers de cette jeune femme alors qu’elle ne se remet jamais en cause et qu’elle s’embourbe dans les mensonges et les manigances. J’en suis souvent arrivée à ressentir de la pitié pour elle. June est complétement aveuglée par sa soif de reconnaissance et de gloire, elle est sûre d’elle-même malgré ses torts et campe sur ses positions alors que tout s’effondre autour d’elle. Elle a parfois des doutes mais ils sont vite balayés par sa propension à se lamenter sur son sort et à imputer son malheur aux autres (et surtout aux personnes racisées)

À la lecture de ce roman, on sent que R.F. Kuang a dû voir, entendre et être témoin de bien des choses au cours de son parcours d’autrice et qu'elle pointe du doigt une bien honteuse réalité. Elle dénonce l’appropriation culturelle qui est faite en littérature et le racisme omniprésent dans ces milieux. Yellowface s’inscrit dans l’actualité alors que de plus en plus de textes font l'objet de polémique depuis quelques années et que les voix de certaines communautés sont enfin plus entendues. L’autrice montre aussi la compétitivité qui règne dans ce monde où le moindre faux pas peut enterrer votre carrière et que vous faites l’objet d’harcèlement sur les réseaux sociaux ou de rumeurs entre professionnels.

Yellowface fut donc une lecture prenante qui m’a sorti de ma zone de confort mais dont j’ai beaucoup aimé les thématiques abordées et le réalisme. R.F. Kuang délivre un message fort sur la légitimité des auteurices en créant un personnage principal qu’on adore détester.

Ma note : 



« Mais je ne peux pas abandonner la seule chose qui donne un sens à ma vie.
L’écriture est ce que nous possédons de plus proche de la véritable magie. Elle permet de créer quelque chose à partir de rien, d’ouvrir des portes vers d’autres pays. Elle donne le pouvoir de façonner son propre monde quand le vrai est trop douloureux. Cesser d’écrire me tuerait.»


Titre : Yellowface
Autrice : Rebecca F. Kuang
Éditeur : Ellipsis
Publication : mai 2024
Prix : 18,90€
Nombre de pages : 352
ISBN : 9782385620141

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