Du thé pour les fantômes - Chris Vuklisevic

«Tu leur attrapes l'anse fermement, et tu les penches vers l'avant comme pour servir le thé. Si elles te résistent, tu les reposes et tu n'y penses plus. Même si elles essaient de t'attendrir avec leurs  motifs colorés et leurs formes rondelettes, d'accord ? Ne te laisse pas berne. Des belles théières, il y en a plein le vaste monde. Des théières gentilles, coopératives, c'est beaucoup plus rare.»

 

Le résumé :

Agonie est sorcière. Félicité, passeuse de fantômes. Le silence dure depuis trente ans entre ces deux filles de berger, jusqu’au jour où la mort brutale de leur mère les réunit malgré elles.
Pour recueillir ses derniers mots, elles doivent retrouver son spectre, retracer ensemble le passé de cette femme qui a aimé l’une et rejeté l’autre. Mais le fantôme de leur mère reste introuvable, et les témoins de sa vie, morts ou vivants, en dessinent un portrait étrange, voire contradictoire.
Que voulait-elle révéler avant de mourir ? Qui était vraiment cette femme fragmentée, multiple ?
Leur quête de vérité emmènera les sœurs des ruelles de Nice au désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages abandonnés de Provence, et dans les profondeurs des silences familiaux.
Entrez dans le salon de thé. Prenez une tasse chaude à l’abri de la pluie. Écoutez leur histoire.

 

«La mémoire, c'est un théière brisée. Pour la retrouver entière et s'y abreuver, il faut de la patience, des morceaux à rassembler, de l'or pour souligner les failles et, pour réunir les pièces, du temps. Du temps et une laque, toxique tant qu'elle n'est pas sèche. Alors il ne faut pas se presser. Il ne faut pas vouloir trop vite retrouver la mémoire, sinon la théière casse ou elle vous empoisonne.»

 

Ma chronique :

Du thé pour les fantômes de Chris Vuklisevic est un roman particulier, parfois déroutant, entre réalisme magique, enquête à tiroirs et fresque familiale. Ce qui m’a tout de suite marquée et charmée, c’est la plume de l’autrice qui est vraiment unique et envoûtante, à la fois empreinte de beaucoup de poésie et parfois d'un humour grinçant. Il y a un vrai travail de recherche et de détail dans la musicalité des phrases, dans la sonorité des mots, dans les descriptions de paysages et d’ambiances.

Près de Nice, on rencontre deux sœurs bien étranges, Agonie et Félicité, l’une est une sorcière, l’autre est passeuse de fantômes. Le chapitre relatant leur naissance dans un petit village de montagnes au fin fond de la Provence donne tout de suite le ton et frappe par ses éléments bizarres et perturbants qui nous sont présentés comme tout à fait banals. Les deux sœurs sont comme le jour et la nuit mais s’aiment d’un bel amour sororel qui sera malheureusement mis à mal par leur mère. Plusieurs décennies plus tard, elles vont tenter de dénouer les mystères de leur passé et de comprendre ce qui a mal tourné.

J’avais vu beaucoup de retours parler de feel-good ou encore de cozy fantasy mais, de mon point de vue, ces termes ne correspondent pas tout à fait à ce récit. Certes, les passages où il est question du salon de thé ou de l’apprentissage de la magie du thé apportent un côté cocooning et réconfortant mais il ne faut pas oublier la dureté des thématiques abordées, la toxicité des relations mère-fille ou encore l’ambiance sombre et glauque qui nous sont présentées. Tous ces éléments marquants font en tout cas que j’ai adoré cette lecture douce-amère du début à la fin.

Les personnages sont tous singuliers et bien construits. En particulier Félicité et Agonie qui ont une psychologie complexe et une vraie profondeur que l’on découvre par petites touches au fur et à mesure de flash-backs et de leurs péripéties. Elles sont très différentes mais tout aussi attachantes l’un que l’autre, chacune à sa manière. Tout au long du roman, on apprend également à connaître leur mère qui se révèle bien plus énigmatique et inquiétante que celle qu’elle semblait être au premier abord.

L’autrice est créative et le roman est plein de bonnes idées avec ses différentes formes de magies et de fantastique (les étranges-thés, les théières, les esprits, les objets qui attirent les fantômes, les outrenoms, les capacités des jumelles, etc.) Du thé pour les fantômes est également original dans sa forme avec des chapitres ou passages qui évoquent des poèmes ou des tirades de théâtre. Le lecteur se glisse dans la peau d’un auditeur à l’oreille attentive à qui le mystérieux narrateur conte l’histoire de ces deux sœurs.

Du thé pour les fantômes aura donc été une lecture surprenante et fascinante que j’ai savouré avec plaisir ! C’est une histoire de famille à la fois tragique et belle, une quête de vérité, de réponses et d'identité. Avec son ambiance travaillée et atypique, sa galerie de personnages et sa superbe écriture, je ne me suis pas ennuyée une seconde !

 Ma note :


«On n'est pas qu'une personne dans sa vie, Clé. Certains te diront qu'on emprunte à l'envi des masques. Moi, je te dis qu'on change de peau, de chair, de squelette et de sang. On ne ment pas en le faisant : on se transforme. On oublie celles qui peuplaient notre corps pour préférer des femmes nouvelles. Plus sages. Ou plus épaisses, ou plus p rudentes, selon le sort de celles qui ont précédé.»

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 Titre : Du thé pour les fantômes
Autrice : Chris Vuklisevic
Éditeur : Denoël
Publication : mai 2023
Prix : 21€
Nombre de pages : 448
ISBN : 9782207169933

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