Du roi je serai l'assassin - Jean-Laurent Del Socorro #plib2022

«On ne peut tout à fait quitter un endroit sans en avoir accepté tous les souvenirs qui s'y rattachent, les bons comme ceux que l'on voudrait à jamais oublier.»


Le résumé :

Espagne, Andalousie, XVI e siècle. La Reconquista est terminée. Charles Quint règne sur une Espagne réunifiée et catholique. Sinan est un enfant qui vit avec sa sœur jumelle, Rufaida à Grenade. Musulmans convertis par nécessité à la religion catholique, sa famille les envoie à Montpellier pour échapper à une Inquisition toujours plus féroce. Là-bas ils tomberont dans une France embrasée par les guerres de religion...

 

«Ce jour-là, ma sœur et moi avons compris que nous étions des étrangers à notre propre histoire, les derniers échos d'un monde que l'on cherchait définitivement à faire disparaître.» 

 

Ma chronique :

 En lisant Du roi je serai l’assassin, j’appréhendais le côté historique car ce n’est généralement pas ma tasse de thé. Mais j’ai été très agréablement surprise ! L’auteur ne noie pas le lecteur sous des détails, au contraire, il reste très factuel ce qui rend l’ensemble digeste. La présence du fantastique est très ténue et n’est souvent que mentionnée : on nous parle d’alchimie, de livre et de pierre magiques. L’intervention véritable de la "magie" n’intervient que tardivement dans la seconde partie. Vous voilà prévenu si vous cherchez un roman de fantasy / fantastique historique. Personnellement, ça ne m’a pas du tout dérangée (et j’en suis la première étonnée !)

 

Dans la première partie, on suit l’histoire des frères et sœurs Sinan, Rufaida et Sahar et les conséquences et influences de la politique et de la religion à Grenade sur leur vie. Le quotidien de nos protagonistes s’avère être bien plus difficile que les apparences ne le font croire. Certains passages sont très durs et déchirants (je n’en dirais pas plus mais un événement en particulier est vraiment fort en émotion et bouleversant). Je me suis très vite attachée à ces trois enfants dont l’amour mutuel sert de refuge face à la violence et au mépris qui se déversent quotidiennement sur eux. Ils forment une famille déchirée et évoluent main dans la main malgré les coups durs de la vie.

Dans la seconde partie, Rufaida et Sinan partent étudier à Montpellier sous des faux noms car leurs racines espagnoles et musulmanes les mettent en danger. Les guerres de religion et la vie des étudiants de médecine de l’époque sont au cœur de cette partie. De nombreuses anecdotes historiques très intéressantes viennent ponctuer le récit. On sent un véritable travail de recherche historique mais c’est aussi la passion de l’auteur qui transparaît dans ses lignes.

Dans la dernière partie on suit un nouveau narrateur, ce qui est assez perturbant mais tout de même intéressant car il permet de donner un point de vue différent sur la suite et fin de l’histoire. J’étais cependant un peu déçue par cette ellipse de plusieurs dizaines d’années car on manque d’informations sur ce que Silas a fait pendant tout ce temps (c’est résumé en quelques phrases) et j’aurais beaucoup aimé continuer à le suivre.

 

L’écriture est fluide et efficace, j’en retiens surtout sa maturité et sa sensibilité qui servent à la perfection ce récit intime d’une grande intensité. Les chapitres sont très courts ce qui donne du rythme même si j’aurais aimé qu’ils soient plus longs pour vraiment avoir le temps de me poser et d’apprécier les événements dans leur entièreté. Ce roman est une belle ode à la diversité et à la tolérance que ce soit vis-à-vis de la religion de chacun, de ses origines, de son attirance sexuelle mais aussi sur la question du rapport homme/femme. En effet, un fossé se creuse entre Sinan et sa sœur Rufaida qui, du fait de son statut de femme, ne peut entreprendre les études qu’elle souhaiterait. Ce personnage fort et affirmé permet à l’auteur d’aborder la place des femmes à cette époque et dans diverses communautés. Le frère et la sœur partagent néanmoins un intérêt commun pour l’alchimie mais cette quête les mène à une compétition pleine de jalousie et de rancœur.

La force de ce récit c’est la richesse et la profondeur de ses personnages qui sont tout en nuances. Le protagoniste, Sinan, est un jeune homme brisé qui perd sans arrêt ceux qu’il aime et qui l’entourent. Il se cherche constamment et cette quête d’identité se manifeste de différentes façons : avec ses nombreux changements de noms, le fait qu’il soit pris pour un turc, l’alcoolisme qui lui permet de sortir de son mutisme naturel et de se désinhiber, sa volonté de toucher à plusieurs domaines (combat, médecine, alchimie, musique). Il oscille sans cesse entre plusieurs émotions et états d’esprit : la tristesse, la rage, la haine, la nostalgie, la peur. Après la dualité entre le frère et la sœur, c’est une dualité entre Sinan et son alter ego, Silas, qui se créée, entre désir de guérison et de résilience pour l’un et souhait de destruction teinté de haine pour l’autre.

 

Du roi je serai l’assassin de Jean-Laurent Del Socorro aura donc été une excellente lecture qui m’a touchée à de nombreuses reprises. Ce roman met à l’honneur la famille, l’amour, l’amitié et la haine sur fond de guerres de religion. C’est une histoire magnifique et intense mais aussi extrêmement triste. Je lirai assurément les autres romans de l’auteur qui se passent dans le même univers et suivent les mêmes personnages !

 

«Me voilà avec une nouvelle identité - une de plus - que l'on m'impose. Combien faudra-t-il en avoir ? J'ai l'impression d'être un comédien qui change de masque à chaque scène, et dont on ne connaît jamais le visage. Je n'existerai véritablement que lorsque je me serai moi-même choisi un nom.»

Ce roman fait partie des 25 sélectionnés pour le prix du PLIB 2022.

Titre : Du roi je serai l'assassin
Auteur : Jean-Laurent Del Socorro
Éditeur : ActuSF
Publication : avril 2021
Prix : 19,90€
Nombre de pages : 350
#ISBN9782376863519

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